Faites vos jeux...
En octobre 2031, l’espèce humaine vécut un chamboulement qui changea irrémédiablement la société. Cependant, l’événement commença comme un simple fait divers. Tous les regards de l’humanité étaient tournés vers leurs Holécrans, devant la deuxième finale Inter-Pays-Dirigeants du sport mondialement connu, le « Kiiiiill Painter ». Mélange d’anciens sports, tels que le rugby, le foot, agrémentés de street fight, ce jeu se servait d’armes blanches et de fusils à billes métalliques.
Au début, seuls de jeunes durs pratiquaient l’ancêtre du « Kill Painter » dans les rues mal famées des suprapoles mondiales. Violent, radical, le « Kill Painter » avait été récupéré par une obscure mafia en 2025. Les deux seules règles du jeu étaient devenues implacables :
1ère règle : La sphère métallique appelée « La Balle » doit coûte que coûte atteindre l’en-but.
2ème règle : Les vainqueurs seront désignés par le nombre de « Balle(s) » marquées ou par l’éradication complète de l’équipe adverse.
Chaque équipe est composée de trente joueurs. Quinze, appelés les « Bulldozers », forment la ligne d’assaut. Leur unique but est de « défoncer la forêt », ligne de défense armée de l’équipe adverse.
Huit, divisés sur deux rangs, créent la « Zone d’Interception », dite « Zone de mort violente ». Leur rôle : intercepter « La Balle ». Leurs noms changent selon les équipes. Certains sont les « Empaleurs de New-Sibéria » ou bien les redoutables « Tsunami » de la Nouvelle-Pacific, et ainsi de suite.
Cinq joueurs, lourdement harnachés dans leurs armures de Nanoplastik, se trouvent devant la zone d’en-but et interceptent tout ce qui passe à portée de leurs lanceurs de billes. Le « Kill Painter » tiendrait son nom de ces billes métalliques, qui laissent sur la peau de belles taches bleuâtres ou moult traînées sanglantes sur le terrain. La mobilité n’est pas le fort des Chevaliers-Plast, mais leurs armes et leur résistance en font de redoutables adversaires.
Les deux derniers joueurs composant chaque équipe sont les Voltigeurs et les Marqueurs. Les Voltigeurs sont les seuls à porter une ceinture Jet-pack, d’où leur nom. L’appareil leur permet de survoler le terrain et d’agir comme soutien, et surtout comme passeur décisif.
De par leur mobilité, les Voltigeurs sont souvent les premiers visés par l’adversaire, réduisant leurs espérances de vie.
Et le dernier, le Marqueur, souvent traité comme un demi-dieu par les médias et par la foule hystérique, a la lourde tâche de porter « La Balle » de l’autre côté du terrain. Profitant des nombreux obstacles disséminés sur le terrain, évitant les mines électriques, les coups tordus de l’équipe d’en face, il ne compte que sur les directives de son Voltigeur pour foncer le plus rapidement possible vers l’en-but si lointain. Survivre un maximum de temps, jusqu’au prochain match hebdomadaire.
Très vite, les performances anormales des athlètes « normaux », robotisés à outrance, dopés à plein de trucs chimiques, n’intéressèrent plus vraiment le public. Voir des gens faire un cent mètres en moins de quatre secondes ou lancer un javelot à plus de deux cent quarante-quatre mètres ne rendait plus intéressants ni crédibles les millions de Dollars Planétaires investis dans les compétitions. Ainsi, les sponsors, ne gagnant plus assez d’argent et afin de faire grossir leurs actionnaires, quittèrent le monde des sports traditionnels pour des sports moins réglementés. La demande augmenta aussi vite que la violence était sanglante. Sous la pression mondiale et pour ne pas entrer en conflit ouvert avec les nombreuses corporations, le Premier Ministre Mondial, Abdoullah Ben’ Chorba, décida de légaliser en 2027 le « Kill Painter » et d’organiser une coupe entre Inter-Pays-Dirigeants de la Coalition Planétaire. La compétition aurait lieu tous les deux ans, à la date anniversaire de la victoire sur le tyran Trump et de sa coalition avec l’ancienne Nord-Corée, le 31 octobre 2021.
La première compétition avait donc eu lieu le 31 octobre 2027. Les « Gayndé’s » de l’Union Afro-européenne avaient gagné face aux résistants « Loups des Steppes » de l’Alliance Chinaustralienne, par deux buts à un. Et, suivant les consignes du Parlement Planétaire, aucun mort, mais dix-sept Loups blessés plus ou moins gravement et six estropiés dans le camp des Gayndé’s.
Un franc succès, tout le monde était heureux. Le Premier Ministre Abdoullah voyait sa cote de popularité exploser, plus encore que lors de l’horrible assassinat de Monsieur B. Obama, en 2026, par une secte néo-nazie-évangéliste-créationniste-NRAienne. Les corporations se gavaient plus que dans d’anciennes traditions barbares, disparues grâce à la Syntho-viande. Les médias faisaient exploser les scores d’audience, accompagnés de bulles de Vegan-Champ, surenchérissant de plus en plus les effets visuels sur les Holécrans. Créant ainsi de toutes pièces les Nouveaux Dieux Olympiens. Le public retrouvait les jeux du cirque et s’attribuait les exploits de ses héros favoris devant les collègues du Secteur Administratif.
Deux années passèrent, sans que le nombre de morts lors des matchs hebdomadaires de « Kill Painter » ne dépasse les directives du Gouvernement Planétaire. C’est-à-dire, deux trépas autorisés par match, pas plus, bien sûr.
Dès le début du mois d’octobre 2031, une tension subversive montait de la rue, annonçant les préparatifs pour LA grande finale. Remettant en jeu leur titre de champions, les « Gayndé’s » de l’Union Afro-européenne attendaient impatiemment le résultat du tirage au sort, ne sachant pas encore quels adversaires ils allaient affronter dans quelques jours. Les médias s’égosillaient de plus belle, chaque jour un peu plus. Les théories sur les futurs matchs rebondissaient de chaîne en chaîne, sans que quiconque ne remette en question toute cette mascarade. À grand coup de marketing et d’effets holographiques, ils tenaient encore en haleine une très grande quantité de fans à travers le monde.
Un simple bureaucrate de huitième rang avait écrit un mémo à son superviseur, sur la montée d’un agacement viscéral qui touchait jusqu’aux plus hauts sous-dirigeants. La population mondiale grondait, la surpopulation était un problème récurrent. La paix avait un prix.
Et la restriction du Premier Ministre Planétaire sur le nombre de trépas légaux rendait nerveux le reste de la population qui commençait à se désintéresser du « Kill Painter » — sans kill, ça ne veut rien dire… Le bureaucrate, que l’on nommera Adolphe H., demandait à sa hiérarchie d’agir au plus vite, afin d’éviter un débordement contrôlable mais inéluctable. Si notre cher Adolphe H. avait titré son mémo d’un :
« Prévisions sur un possible débordement lors de la finale du “Kill Painter” » plutôt qu’un « ATTENTION, DANGER ! »
son trop fainéant superviseur de rang sept aurait regardé plus attentivement le mémo, et se serait rendu compte du risque encouru par le mode de vie de l’espèce humaine. Les choses sont parfois à un cheveu d’être évitées, mais pas cette fois-ci. Si seulement on avait écouté ce cher Adolphe H., le monde aurait pu se montrer différent.
Lorsque le résultat désignant les deux finalistes du « Kill Painter » tomba le 16 octobre, la tension avait grandi.
Les « Terribles Fossoyeurs » de Cincinnati, dernière ville encore debout de l’État des Amériques Réunifiées juste après la guerre de 2021. Terribles ! Car sur leurs terres, la loi sur le trépas n’est pas vraiment respectée par leur gouverneur Juan Escobez. Un peuple violent, depuis toujours. Ils allaient affronter les champions en titre, les « Gayndé’s ». Les paris étaient lancés partout dans le monde…
Le jour fatidique, le 31 octobre 2031, un coup de sifflet retentit dans le stade gigantesque de la Suprapole de Néo-Moroco, capitale de la Coalition Planétaire. Ce coup de sifflet lança le match de la finale du « Kiiiiill Painterrrrr » et mit fin au monde que connaissait Josh, alors âgé de douze ans.
À suivre…