Jesse "Fils du bois" James (1847-1882)
La recherche de Jesse James par Despèrasta n’avait rien d’une course rapide. Non, cette traque s’était étalée sur des mois, avec des semaines à fouiller dans la boue des territoires poussiéreux du Missouri et du Kansas. Jesse James, ce voleur de renom, selon les titres putassiers d’une presse insipide et mensongère, ce bâtard selon la propre vision des autres qu’en avait Despèrasta, avait réussi à se cacher sous de fausses identités : de fermier à hors-la-loi repenti, mais surtout usurpateur notoire, toujours selon le grand échalas en colère.
Despèrasta n’était pas pressé, oh non… Il savait que chaque piste, même la plus minime, le mènerait à Jesse. Il écoutait attentivement les ragots des saloons, attrapait au vol des conversations d’ivrognes vantards, et soudoyait même quelques Peaux-Rouges, à grands coups de chevrotines, pour suivre la trace de ce qui restait du gang James-Younger. Un jour, on lui parlait d’un homme à Saint-Louis se faisant passer pour un fermier, le lendemain, on lui parlait d’une vieille légende, d’un certain James, qui se serait installé dans les environs de la ville de Saint-Joseph.
C’est là que Despèrasta sut, oui Saint-Joseph. Une ville tranquille, mais assez éloignée pour qu’un homme comme le « Fils du bois » pense pouvoir s’y cacher en paix. C’était parfait. La tranquillité ? Un concept que Jesse James ne méritait pas. Despèrasta en était convaincu. Mais contrairement aux autres bandits, Despèrasta n’était pas là pour l’argent. Il était là pour rectifier l’histoire.
«Remettre les pendus à leur place… », comme il aimait en rire. Il arriva en ville, le 1 avril 1882, trouva une chambre au bordel du coin, non sans avoir effrayé la pauvre tenancière avec son physique atypique. Il ne mit guère longtemps pour trouver la cachette du prochain nom de sa liste morbide. Cela faisait deux jours qu’il patentait au saloon devant un whiskey de mauvaise qualité et un peu chaud.
Robert Ford fût le premier à passer devant Despèrasta sans prêter attention au grand métis au regard sombre, le jour suivant son abruti de frère Charley, venu goûter aux plaisirs du bordel ne remarqua pas l’homme au flingue étrange. Despèrasta se prépara, le regard fixé sur eux. Ces deux-là, ils ne savent pas à quel point ils sont déjà condamnés, pensa-t-il en esquissant un rictus, qui fit sursauter d’horreur le pauvre pianiste du lieu.
Il les avait suivis jusqu’à une petite baraque insignifiante et avait reconnu le portrait de l’avis de recherche qu’il avait récupéré. Il savait que ce serait la dernière fois que Jesse James volerait la gloire de quelqu’un d’autre, surtout la sienne. Dans la petite maison de Saint-Joseph, Jesse ajustait pour la énième fois, ce foutu cadre de travers dans le salon de leur repaire. Pour un homme qui avait passé sa vie à braquer des banques et des trains, il semblait étrangement préoccupé par les détails insignifiants. Mais ce jour-là, ce cadre allait être la dernière chose qu’il réglerait.
Les frères Ford, Bob et Charlie, l’observaient en silence, échangeant des regards nerveux. Ils avaient reçu une offre qu’ils ne pouvaient refuser : 10 000 dollars pour abattre Jesse. Ils savaient que la mort les attendait s’ils refusaient. C’était eux ou lui.
– « Eh, Bob… tu crois qu’il sait ? » murmura Charlie, son regard fuyant celui de Jesse, un tremblement dans la voix. Une pause, puis il ajouta, « On ne devrait pas rester ici, ça fait trop longtemps. »
– « Il doit se douter de quelque chose, chuchota Bob, en se frottant la nuque. Mais il feint de ne pas voir, tu crois ?
Jesse, perdu dans ses pensées, finit par rompre le silence, comme s’il avait senti la tension monter dans la pièce. Il tourna la tête lentement, ses yeux cherchant à percer l’angoisse sur le visage de Bob et Charlie.
– « Vous savez, les gars, dit-il reportant son attention sur le tableau, ça fait des années qu’on roule ensemble. Des années à faire trembler les banques et à mettre les putains de Yankees à genoux. Mais… je me demande parfois si vous comprenez vraiment tout ce que ça signifie.
Les frères Ford échangèrent un autre regard, le cœur battant. Jesse parlait comme si c’était un adieu, et cela les troublait.
– « Tu te souviens de Liberty, Bob ? demanda Jesse en tournant enfin la tête. C’était en 1866, non ? La première banque qu’on a braquée ensemble après la guerre. C’était un beau coup : 60 000 dollars, c’est pas rien, hein, Bob ? Un sourire nostalgique s’afficha sur son visage.
– « Ouais, je m’en souviens, dit Bob, un frisson d’appréhension parcourant son échine.
– « Puis y’a eu Gallatin dans le comté de Sumner, en 1869… hum, si mes souvenirs sont bons, poursuivit Jesse, son ton se faisant plus grave. On a failli se faire pincer… Quelle époque ! On a dû fuir vers le Missouri… Ahahah ah ! Vous savez combien de temps j’ai passé à courir après cette foutue liberté ?
Charlie, nerveux, se força à parler.
– « Trop longtemps, Jesse. Trop longtemps.
Jesse hocha la tête, le regard toujours braqué sur ce p ‘tain de tableau pas droit, avant de reprendre.
– « Et le pire, c’était Northfield, en 76. On a tout foiré ce jour-là. Les Younger ont été capturés, et nous… On a dû nous tirer au Tennessee comme des lâches. Son dégoût était manifeste.
Le silence s’installa, lourd. Jesse, apparemment, ne remarquait toujours pas la nervosité palpable chez les frères Ford. Ou peut-être qu’il faisait semblant.
– « Et maintenant, on est ici, dans cette baraque pourrie de Saint-Joseph, Missouri, à attendre quoi ? Que les balles arrêtent de pleuvoir ? Il lâcha un rire amer. Mais je ne suis pas fait pour ça, les gars. Vous le savez bien.
C’était le moment pour Bob et Charlie. Leur trahison pesait lourd sur leurs épaules. Depuis qu’ils avaient rencontré Silas Woodson, gouverneur du Missouri, la décision était prise. 10 000 dollars pour la tête de Jesse, personne ne cracherait dessus. Ils savaient que leur chef devenait de plus en plus méfiant. Mais ils n’avaient plus le choix.
– « Jesse, on doit te parler d’un truc, balbutia Charlie, tentant de prendre son courage à deux mains.
Jesse s’arrêta, la tension dans l’air palpable. Il tourna lentement la tête, les mains sur les hanches.
– « Vas-y, dis-le, Charlie, je t’écoute. Son ton était calme, mais ses yeux brûlaient de méfiance. Le cœur des frères battait à tout rompre. Ils savaient qu’il n’y aurait pas de retour en arrière. Ils allaient trahir l’homme le plus dangereux du Far West et leur meilleur ami, pour une poignée de dollars en plus.
Mais avant qu’ils ne puissent parler, un son les fit sursauter. Une détonation. Forte, brutale. BOUM…
L’ironie du sort voulut que Jesse tourne finalement la tête juste au moment où Despèrasta, caché dans un coin d’ombre de la pièce, pointait son arme. Et là, au lieu de comprendre le danger, il fronça les sourcils d’un air dubitatif.
– « Tiens, un tromblon ? Sérieusem… ? L’absurdité du truc lui traversa l’esprit en même temps que la volée de plomb…
BAOOOUM… La détonation déchira l’air. Jesse James, d’un mouvement presque imperceptible, se figea, le regard perdu. La pièce fut inondée de sang et de morceaux de chair, tandis que l’horreur paralysait les frères Ford, incapables de saisir l’ampleur de ce qui venait de se produire.
Jesse n’avait pas réalisé le danger avant qu’il ne soit trop tard. Il avait à peine eu le temps de voir le tromblon, une présence dans l’ombre, presque invisible, un grand type assez effrayant. Son regard avait croisé celui de Despèrasta une fraction de seconde et un frisson de confusion avait parcouru son échine. Mais il n’avait pas eu le temps de comprendre ; il venait de payer le prix de sa vie l’ignorance du pourquoi. Le tableau maculé de sang et de cervelle penchait toujours sur son clou…
Les frères Ford, maintenant confrontés à l’horreur, restèrent figés, leurs esprits en lutte avec l’insupportable réalité. Pendant qu’ils prenaient conscience de la tragédie, Despèrasta se fondait dans l’ombre, tel un crotale qui disparaît dans le désert.
Ils n’avaient pas vu le tireur, parti comme il était venu, laissant derrière lui, juste le bruit qui faisait siffler les oreilles et le sang dégoulinant. L’invisible bonhomme avait décidé de régler ses comptes, d’effacer un nom de plus sur sa liste, c’était chose faite et il en tirait une très grande satisfaction.
– « On… on l’a eu ? interrogea Robert Ford, les mains tremblantes et le visage couvert de sang.
– « Bin, c’est fait, je crois ? murmura Charley Ford, le regard vide et tout aussi éclaboussé que son frère, de morceaux de cervelle encore chaude.
Mais les frères Ford, toujours sous le choc, commencèrent à se questionner.
– « Dis, Charlie, commença Bob, son regard inquiet. C’est toi qui as tiré ou moi ?
– « Moi ? Non, mais… peut-être… Charlie hésita, son visage vira au pâle. C’était un accident, non ?
– « Un accident ?! On venait de… enfin, on devait le tuer. La voix de Bob tremblait. Et pourtant, on n’a même pas eu le temps de… comprendre ce qu’il s’est passé.
– « Peut-être qu’il a tiré tout seul, en dégainant pour nous faire la peau avant que nous ne… proposa Charlie, mais son regard trahissait le doute. Il avait souvent cette expression, tu sais, comme s’il savait déjà qu’on en voulait à sa vie.
– « Ouais, c’est vrai… mais ça reste bizarre. Bob jeta un coup d’œil autour de la pièce, cherchant une explication. Qu’est-ce qui vient de se passer, au juste ?
Ils restèrent là, assis plusieurs minutes au milieu du chaos, incapables de comprendre ce qui venait de se produire. Bob contemplait le corps sans vie de son ancien acolyte, persuadé que c’était leur tir décisif qui les mènerait à la gloire éternelle.
Mais au fond, la vraie gloire appartenait à celui qui attendait son triomphe, tapis dans l’ombre…
Plus tard, la trahison des frères Ford allait devenir une légende, et les ballades sur « le lâche Bob Ford » qui avait tiré dans le dos de Jesse James, allaient circuler à travers les États-Unis et même bien au-delà des océans. Mais pour Despèrasta, cela n’avait plus aucune importance. Une nouvelle fois, il avait effacé un nom de sa liste, rectifié l’histoire. Le grand Jesse James, roi des braqueurs et voleur de gloire, n’était plus qu’un souvenir, réduit en cendres par un tromblon ridicule, utilisé par l’homme le plus impitoyable du Far West.
La nuit tombait sur Saint-Joseph, enveloppant la ville d’une obscurité presque palpable. Les étoiles, témoins silencieux des meurtres et des traîtrises, semblaient se cacher derrière des nuages menaçants. Despèrasta, tel un fantôme, se fondait dans les ombres, s’éloignant de la scène macabre qu’il venait de créer pour sa postérité.
Son rire diabolique résonnait dans la nuit, une mélodie sinistre qui faisait frémir même les plus courageux. Des coyotes, alertés par le son, s’enfuyaient à toute vitesse, leurs pattes souples battant le sol poussiéreux dans une fuite effrayée. Les habitants, maintenant inconscients du danger, dormaient paisiblement, ignorant la tempête de malheur qui se profilait à l’horizon.
Despèrasta avançait, insaisissable, un spectre dans la nuit, un chasseur de consécration individuelle et de vengeance personnelle. Sa silhouette se fondait dans l’obscurité, si discrète qu’elle semblait se dissoudre dans l’air. Mais derrière cette imperceptibilité apparente, une aura maléfique émanait de lui. Ceux qui avaient la malchance de le croiser, sans même le reconnaître, ressentaient cette atmosphère d’effroi qui faisait vibrer l’air et relâcher quelques sphincters.
Il savait que son prochain abruti l’attendait, Wyatt Earp, le shérif au cœur lourd, le guignol de tant de récits frauduleux… M’enfin, un autre connard que Despèrasta se devait d’effacer de la surface de l’histoire. Earp, avait commis une erreur fatale en 1879 à Dodge City, en abattant un homme lors d’une bagarre de saloon. Malheureusement pour lui, ce cow-boy, un ancien esclave devenu garçon vacher pour un marchand de bétail, tout aussi esclavagiste, était l’unique et un trop rare ami pour Despèrasta. Leur amitié, forgée dans les dures réalités des plaines sauvages, avait marqué l’âme sombre du bandit. Le pauvre bonhomme avait malencontreusement croisé le chemin de Wyatt Earp dans le tumulte de la vie de l’Ouest sauvage, il en était raide mort, sans rédemption. Ce meurtre, bien qu’involontaire, avait tracé une ligne rouge dans le monde du plus grand des bandits du Far West : Despèrasta, marquant ainsi le début d’une vendetta personnelle.
Despèrasta n’était pas pressé. Le temps était son allié, et chaque minute passée ne faisait qu’accroître sa soif de vengeance. Il imaginait déjà l’histoire réécrite à son avantage, une autre légende à ajouter à son actif. Se faufiler dans les ombres de la ville d’Earp, insidieux, malicieux, attendant le moment parfait pour frapper. Chaque instant renforçait sa conviction que Wyatt Berry Stapp Earp serait effacé de l’histoire comme une ombre avale la lumière.
Un rictus tordu se dessina sur son visage, Les étoiles brillaient faiblement au-dessus de lui, comme si elles hésitaient à éclairer son chemin et le vent murmura son nom. Les échos d’une existence oubliée et d’un passé sanglant le suivaient. Le rire diabolique de Despèrasta résonnait dans le silence, un avertissement à ceux qui osaient vivre sous son règne invisible. Il était là, toujours là, une force inévitable, patiente, attendant que la mort fasse son œuvre. La peur, fidèle compagne, dansait avec lui dans l’obscurité.
Un dernier regard en arrière vers Saint-Joseph, où la vie continuait sans se douter des ténèbres qui s’éveillaient. Les ballades sur Jesse James, le traître, résonneraient bientôt. Mais pour Despèrasta, le vrai jeu ne faisait que commencer.
Dans le lointain, le cri d’un coyote déchira la nuit, un écho de la terreur qu’il laissait derrière lui. La nuit lui appartenait, et dans l’ombre, il régnait en maître. Un sourire carnassier déforma ses lèvres. Alors que la lune se levait, illuminant son chemin, Pitié, sa fidèle monture, cabra, prête à s’élancer vers une nouvelle victime, tel le Zorro bondissant sur sa proie. Despèrasta était un spectre dans la nuit, l’ombre d’un homme dont personne ne se souviendrait, mais qui marquerait l’histoire d’une manière que personne n’oublierait jamais… M’enfin, selon lui…
This is the End of J. James