Au fil du temps
En un instant, j’étais devenu un voyageur temporel, contemplant les mille sept cent trente trois années qui se trouvaient devant moi. Remontant le couloir séculaire, esquivant les obstacles, bouleversant l’ordre temporel, je traversai les siècles afin d’accéder au saint des saint, le seul endroit au fond des temps où la place n’est qu’un dernier recours. J’y pris place parmi les quelques autres privilégiés, surplombant mille sept cent trente trois ans.
Je contemplais l’histoire gravée sur les visages repliés sur eux-mêmes. Sur chaque masque semi-vivant, marqué par les longues journées à vivre leur vie, les rides sillonnaient la peau comme de longs canyons arides. Les taches de vieillesses comme projetées sur les visages par le peintre du temps, mouchetaient les paysages fatigués d’une longue vie de labeur.
D’autres marques laissées, ici par une naissance difficile, là par un deuil profond, remplissaient la cabine du véhicule centrifuge d’une profonde et troublante tristesse. Toutes et tous, s’accrochaient fermement aux sièges et barres du panier à salades motorisé qui remontait les mille sept cent trente trois années vers un destin inéluctable.
Le voyageur temporel que j’étais devenu, malgré moi, surplombait les milles siècles dépassés, d’un siège à l’arrière du transport commun. Cela contrastait avec la frénétique et bouillonnante vie de l’extérieur, qui coincée dans les embouteillages tentait une survie souffreteuse.
Dans un ralenti digne des meilleurs films, le parchemin temporel se déroulait sous mes yeux. Au hasard, je fixais mon regard sur l’une des lignes du temps assise à l’avant, comme si elle était impatiente de franchir la corde d’avènement de sa vie. Le cheveu plus sel que poivre, un petit visage fripé, les mains osseuses accrochées à ses paquets contenant le maigre repas du soir. Elle lançait des regards furtifs entre le frénétique extérieur et une autre partie de mon voyage temporel, coincée sur un autre siège. Celle-ci discutait avec un vieux bonhomme tout aussi marqué par les âges. Mon regard fut attiré par le mouvement d’un presque siècle, qui riveté sur la plaque de plastique sensée épouser le corps, essayait d’attraper l’une des barres métallique. Je sentis la panique rajouter une couche sur son visage, déjà buriné par la temporalité d’une vie pas aussi heureuse. Quelques mains salvatrices surgirent timidement n’osant toucher, accrocher, le presque siècle. La boite à salade remontant le boulevard de la vie, ralentie à l’approche d’un arrêt temporaire. L’impulsion donnée par le freinage aussi doux que l’arrachage d’une molaire, propulsa le presque siècle vers son but. Agrippant la barre de sauvetage, il s’extirpa vers la fin de son presque siècle et disparu dans la froideur de la nuit.
Mon attention changea de cible et se porta vers une partie des mille sept cent trente trois années, qui mourrait pas très loin de chez moi, seulement à quelques rues, il me semble ? En tout cas dans le même genre de cercueil d’acier et de béton. L’échange de sourires formel effectués, la gêne causée par la différence d’époque et les inconvenances de mise, ses yeux partirent à la recherche du temps passée où perdu.
L’insupportable bringuebalement secoua les siècles, enchevêtrant les un entre les autres, les différents âges, pouvant créer un paradoxe improbable. Plusieurs passagers temporel sautèrent à chaque arrêt sur la ligne de leur propre temps, rejoindre qui une famille, qui une solitude. Plus le Mutilobus approchait de son but final, plus les âges s’effaçaient, mille deux cent, mille quatre vingt deux, huit cent douze, ainsi de suite….
Je surplombe toute cette chronologie d’un œil amusé et je me dirige à mon tour, vers ma sortie de vie. Aussi vétuste que le parchemin du temps, l’horrible corbillard, portant lourdement le poids des âges comme prédestiné, le numéro de la ligne 74, freine brutalement. Dans un Pchhhhhhh irritant, les portes du véhicule s’écarte devant moi et d’un mouvement rude me pousse sur ma propre ligne temporelle…
The End…