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La Page Blanche

Inspiration, expiration...

Poussant un soupir de dépit, l’auteur fit reculer son fauteuil de bureau et se leva. Il frotta ses yeux et bâilla à s’en décrocher la mâchoire. Il n’avait pas vu le temps passer. Il ralluma la cigarette euphorisante oubliée dans le cendrier. Debout devant son ordinateur, il regardait les trois textes qu’il devait encore peaufiner. Il en avait chié.

Trois histoires complètement différentes. Trois héros à peu près dans la même veine, et surtout trois mondes distincts. Encore quelques retouches, et ses lecteurs assidus seraient comblés, piaffant d’impatience, désireux de découvrir la suite des aventures de leurs héros chéris.

Un regard vers l’horloge : 22 h 37. L’envie d’un café, un peu de faim et surtout le besoin de vider sa vessie le firent enfin s’éloigner de l’écran, avec un : « Allez, café, grignotage et pipi… »

Les besoins physiologiques gagnèrent la priorité, faisant prendre à l’auteur la direction des toilettes. Toute cette agitation fit s’étirer le chat lové près de lui, pour aussitôt le replonger dans des rêves de chat. Le besoin naturel terminé, il passa en cuisine. Le souffle du micro-ondes réchauffant le café accompagna le soupir agacé devant le vide antarctique du réfrigérateur. Heureusement, il restait un paquet de tagliatelles fraîches dans le placard. Un peu de beurre et de gruyère feraient l’affaire. Tout en préparant son repas tardif, l’auteur repensait à ses textes, aux corrections qu’il devrait apporter de-ci de-là.

Soudain, une idée saugrenue lui traversa l’esprit : encore un texte. Un truc simple mais percutant, sur le syndrome de la page blanche. Oui ! Bonne idée, ça, très bonne idée. La page blanche touche la plupart des auteurs au cours de leur vie. Cela devrait être un bon sujet à traiter.

Son repas englouti, il reprit place devant son écran. Il se roula une autre cigarette rigolote, passa la main sur le dos de son chat qui ronronnait toujours à ses côtés, but une gorgée de café.

D’un geste connaisseur, l’auteur ouvrit un nouveau fichier Word. Un nuage de fumée bleue enveloppait sa tête. Il posa les doigts sur le clavier et, commentant mentalement son titre, les fit jouer comme un pianiste malhabile :

« La Page Blanche »






Alors… (23 h 28)








Il doit y avoir une explication rationnelle à la page bl… Humm… (00 h 12)









Pffff… (02 h 17)









La taffe accompagna sa pensée… (03 h 48)







Gorgée de café froid… (05 h 33)








(06 h 02)

L’auteur regarda l’heure, jeta un œil à son chat endormi sur le lit. Se massant la nuque, il bâilla de plus belle.
D’un clic, il sauvegarda son texte vide de sens et, sans vraiment réfléchir, le posta sur son blog.